LA PERLA

LA PERLA

Du premier atelier de corseterie d’Ada Masotti aux 3 800 points de vente actuels, cette griffe de lingerie culte sublime le corps des femmes depuis plus d’un demi-siècle.

La perle est vivante. Elle grossit au gré de la solidification des couches concentriques de nacre que le mollusque fabrique, comme une salive un peu magique. Elle a besoin de la peau pour s’épanouir. Elle est féminité, pureté, rareté, sensualité. Intimité aussi. Quel meilleur symbole pouvait accompagner les destinées d’une marque de lingerie ?

C’est en 1954 qu’Ada Masotti installe à Bologne l’atelier de corseterie La Perla. Sur la route de la soie, la ville est une étape clé du parcours de cette étoffe vers l’Europe : c’est là qu’un dernier traitement vient l’anoblir. Des soieries à la lingerie, il n’y a qu’un pas. Au XVIIIe siècle déjà, la tradition corsetière de la ville jouissait d’une solide réputation. Dans les années 30, Ada Masotti entre en apprentissage chez Draguetti. Très vite, elle passe première modéliste, on la surnomme « Ciseaux d’or ». À cette époque, il n’y avait encore de création que dans le savoir-faire. Tout juste au sortir de la guerre, Mme Ada (comme continuent de l’appeler ses employés orphelins) ouvrait un premier atelier de corseterie : Ape, abeille en italien, « pour rappeler le labeur de l’animal et le nectar qu’il produit », raconte aujourd’hui son fils Alberto Masotti, deuxième président du groupe.

Une seule ouvrière en 1945, près de trente, neuf ans après, les modèles dessinés par Mme Ada font fureur. Mais quelque chose manque pour que l’abeille s’envole ; l’image circonscrivait à la seule Italie le cercle des initiés, d’autant que ape en anglais, c’est le singe, la brute. Changer pour la perle, c’était déjà anticiper sur l’expansion internationale : La Perla, La Perle, The Pearl, Die Perle… L’aventure est lancée.

Avec Ada Masotti à la création et son mari Tonino à la gestion, la marque pose petit à petit les bases de son style. Confort et qualité en sont les pierres angulaires. Viennent ensuite l’exclusivité des matières, l’épure des lignes, une structure minimaliste sur laquelle dentelles, tulles ou fronces s’épanouissent comme un carré de couleur sur un tableau noir. Et puis aussi une certaine identité italienne : cette façon un peu ludique de dire les choses au premier degré. C’est en somme le raffinement latin dans son plus pur style.

En 1994, le soutien-gorge Sculpture révolutionne la corseterie, en réconciliant, pour la première fois de son histoire, confort et décolleté sexy. Campagne photographiée par Nadir.

Les années 60 marquent un tournant décisif pour la marque. Le blanc-noir-chair, sainte trinité de la lingerie, va se trouver dépassé par la folle créativité du prêt-à-porter. Les jeunes garçonnes, vêtues par Courrèges et Mary Quant, réclament du sous-vêtement la même révolution. Ada Masotti imagine des imprimés floraux, des couleurs vives, jeunes et amusantes : rouge, vert, jaune, turquoise… Les femmes n’attendaient que ça, les modèles sont même directement distribués dans les magasins d’habillement. La palette va ensuite s’affiner : les jaunes deviendront des sable, les orange, des abricot. Un poudré ou un corail rehaussera un blanc ou un beige. Ce qui n’exclura pas pour autant des violets marqués ou des vert pomme.

C’est à cette période qu’Alberto Masotti rejoint ses parents. Il a finalement choisi la corseterie plutôt que la chirurgie cardiaque, malgré son diplôme et les félicitations du jury. En 1991, il devient président du groupe La Perla. Son approche à 360° lui permet de gérer le produit, la fabrication comme le marketing, la communication et même les rapports avec les photographes. Pour rester en famille, c’est à sa femme, Olga Masotti, qu’est confiée en 1975 la première ligne de plage. Photographiée par Marco Emili, la campagne de publicité met en scène une Grace Jones animale et lascive. Une esthétique de la sensualité qui est encore l’image de marque de la griffe aujourd’hui.

Plus que de simples maillots de bain, la ligne propose une gamme de petites pièces dérivées reprenant les mêmes motifs ou le même esprit, du paréo aux chemisiers coordonnés. C’est d’ailleurs l’époque où la lingerie prend des airs de garde-robe : les femmes portent des petits déshabillés directement sous la veste, le body est devenu un vêtement en soi. La Perla propose alors des tricots légers et précieux en coton ou en soie, des corsets un peu corsage dont le succès retentissant imposera la création d’une nouvelle usine. Le vrai prêt-à-porter, lui, n’arrivera qu’en 2002.

Consultant sur la ligne, le créateur italien Alessandro Dell’Acqua dessine aujourd’hui une collection en étroite collaboration avec Olga et Anna Masotti (mère et fille). On y retrouve les canons de l’industrie corsetière : l’architecture des coupes, le maintien, le jeu sur les transparences, les rubans, les dentelles, la gamme de couleurs, les motifs floraux… « Le passage au prêt-à-porter était inévitable, explique Alberto Masotti. La maison La Perla dispose de tous les éléments pour proposer à ses clientes un vestiaire complet et nous continuons à travailler dans ce sens. »

C’est aussi pourquoi la griffe propose des séries spéciales, les Limited Editions, des modèles, au positionnement très haut de gamme, disponibles uniquement dans les boutiques en nom propre. Comme ce bustier inspiré par Frida Kahlo, fabriqué en seulement cinquante exemplaires et vendu 2 820 euros. En toile de lin, monté à l’ancienne, entièrement lacé dans le dos, avec une fine fermeture à glissière dissimulée sur le côté ; le point de croix et l’application des cristaux Swarovski rebrodés sur les motifs ont été réalisés à la main. Ou comme cette Boîte des désirs, conçue en trois niveaux d’éveil des sens, à découvrir petit à petit : premier étage, pétales de fleurs et parfum, au deuxième, jarretière, string et ruban et enfin, dernier étage, la nuisette. Blanc mariage pour le modèle White Box ou noir sexy pour la Black Box, on imagine le couple gravir un à un les échelons. Par sa mise en scène de l’érotisme, le coffret stimule les sens. C’est peut-être là la quête ultime de la lingerie. C’est aussi pourquoi, dès 2002, Anna Masotti (troisième génération) propose d’ajouter l’ouïe aux univers sensoriels en proposant une ambiance sexy-listening inspirée des collections. Quatre CD sont actuellement disponibles.

Aujourd’hui, La Perla regarde vers la jeunesse : Alberto Masotti fait partie du conseil d’administration de l’école Polimoda de Florence, recrute les collaborateurs de ses équipes de style à Trieste, au festival de création ITS, et confie à sa fille Anna, 32 ans, le poste de responsable de l’image de la marque et la coordination des produits. Car cohabitent chez La Perla un respect de la tradition (les jalons posés par Mme Ada) et un regard résolument tourné vers l’avenir.

C’est aussi le paradoxe d’une maison artisanale, encore exclusivement familiale (tant dans les capitaux que la gestion) qui emploie pourtant 1 400 personnes rien que sur son site de Bologne et produit plusieurs millions de pièces par an, distribuées dans 3 800 points de vente à travers le monde : un groupe international où le président a commencé comme magasinier pour « aider [ses] parents et gagner quelques sous pendant [ses] études ». Dans son Histoire imprévue des dessous féminins, Cecil Saint-Laurent explique que « corsets et culottes participent à une extase mystique qui unit l’homme à la féminité. Nous sommes dans un domaine où la contemplation est la sœur de l’action, où le regard est un geste » (éd. Herscher, 1986).

On assiste à une sublimation des formes, un jeu savant et ô combien subtil où cacher et montrer sont un peu synonymes. À ces remarques générales sur la lingerie, s’ajoute une caractéristique sans doute particulière à La Perla, induite tant par la profusion des différentes lignes (treize au total, pour la nuit ou le jour, l’homme et la femme, du plus sage au plus sexy) que par le référent de base : la concrétion de nacre. Comme si la lingerie était le prolongement du corps, une partie de lui-même. Mieux encore : comme si elle était créée par lui pour exprimer intimement ses envies. Un atour changeant, tantôt simple culotte couleur chair, tantôt string sexy où un rien de dentelle vient souligner ce qu’il prétend dissimuler.